LES ACIDES GRAS DU LAIT

Le lait de vache est composé de ~4% de matière grasse qui contient environ 400 acides gras différents, mais la plupart y sont présents dans des concentrations très faibles. Seuls une quinzaine s’y trouve dans des proportions significatives. Les acides gras principaux peuvent être quantifiés grâce à l’analyse infrarouge du lait, réalisée en routine au Comité du Lait sur le lait de tank et le lait individuel dans le cadre du contrôle laitier, comme c’est le cas pour les taux de matière grasse, de protéine, d’urée, etc. L’analyse des acides gras est plus pointue que celle des taux butyreux ou protéique. Par exemple, il n’est pas rare d’obtenir des taux de matière grasse et protéines satisfaisants alors que l’analyse approfondie des acides gras va quant à elle révéler un problème sous-jacent

La composition en acides gras du lait dépend notamment du régime alimentaire et du métabolisme de l’animal. En observant leurs déviations il est donc possible de détecter des problèmes de manière précoce au sein du troupeau. Les acides gras peuvent être classés en 4 grandes catégories qui ont une interprétation propre en terme de nutrition et de santé:

  • Les acides gras de novo: ce sont des acides gras à courte chaîne (14 carbones ou moins) qui sont synthétisés dans la glande mammaire à partir des acides gras volatils acétate et butyrate issus de la fermentation ruminale. Ils sont donc un indicateur du bon fonctionnement du rumen. Une diminution est généralement un signe de mauvaise santé du rumen (acidose, manque de nutriments comme l’amidon ou les protéines dégradables, mauvaise rumination, stress, etc). Une quantité élevée pourrait dans certains cas dire que les vaches pourraient être « poussées » un peu plus pour produire plus de lait. Les acides gras de novo sont corrélés avec le taux de matière grasse et de protéines.
  • Les acides gras mixtes: ce sont des acides gras à moyenne chaîne qui comprennent 16 carbones. Ils ont une origine mixte de novo issus de la glande mammaire et à la fois issus de l’alimentation ou la mobilisation graisseuse. Ils constituent un marqueur d’ingestion, de balance énergétique positive, de bon fonctionnement du rumen. Leur valeur est influencée par la digestion de la fibre et monte naturellement en hiver avec l’alimentation. Elle augmente fort quand le rumen est bloqué. Le rapport « C16/acides gras de novo » est un indice de fermentation ruminale : il augmente en cas d’instabilité ruminale, d’acidose de repas, etc (et le taux butyreux diminue aussi généralement un peu). Les acides gras mixtes peuvent aussi augmenter par exemple quand des coproduits à base de palme sont donnés aux animaux.
  • Les acides gras préformés: ce sont des acides gras à chaine longue (18 carbones et plus comme l’acide oléique C18:1) qui proviennent soit de l’alimentation (par exemple riche en pâturage, apport de tourteau de colza) ou de la mobilisation des graisses corporelles. Il est nécessaire de connaitre la composition de la ration pour interpréter au mieux cet indicateur.  Par exemple, un excès non lié à un apport alimentaire peut être un indicateur de déficit énergétique (acétonémie) et amener à réflexion sur les pratiques alimentaires autour du vêlage.
  • Les acides gras polyinsaturés: ils sont essentiellement constitués d’acides gras à 18 carbones avec des liaisons doubles ou triples (par exemple C18:2 ou C18:3 appelés aussi Oméga 3). Ils proviennent de l’alimentation (herbe jeune, soja, DDGS de maïs (coproduit issus de la production d’éthanol), etc) et dépendent de la proportion, la qualité et la diversité des aliments dans la ration. Ces acides gras polyinsaturés ont des propriétés antimicrobiennes qui les rendent toxiques pour la flore du rumen; les bactéries du rumen ont développés un mécanisme de défense pour saturer ces acides gras (les transformer en acides gras sans liaisons doubles ou triples) et pouvoir les utiliser. Ce processus est lié à un bon fonctionnement du rumen. Présents en petite quantité dans le lait, ils ont un impact positif sur la reproduction et les défenses immunitaires. Mais si la concentration en acides gras polyinsaturés augmente sans lien avec l’alimentation, cela peut être lié à un problème dans le fonctionnement du rumen comme l’acidose. Lors de la mise à l’herbe printanière ou d’une supplémentation trop importante en lipides polyinsaturés avec un manque de fibres, les bactéries du rumen peuvent être négativement affectées, ce qui peut alors induire une dépression de la production des acides gras de-novo et la formation d’acides gras linoléiques conjugués (cla) lors de la saturation ruminale. Cela induit une baisse du taux en matière grasse du lait car les cla’s inhibent en partie l’incorporation des acides gras au niveau mammaire.

Pour une interprétation plus précise, il est nécessaire d’interpréter les acides gras en concertation avec d’autres composants du lait tels que le taux d’urée ou de protéine (pour par exemple déterminer si le rumen est en manque de nutriments ou non) et de mettre ces résultats en relations avec les observations faites sur le terrain (état corporel des animaux, aspect des bouses, qualité des fourrages et des rations, etc). Des déviations au cours du temps pour un troupeaux donné sont aussi un indicateur de perturbations qu’il est utile d’investiguer, comme un changement passé inaperçu dans la ration, un problème de confort à l’étable ou d’abreuvoirs. Le stress au sein des groupes d’animaux, le surpeuplement des étables et un accès limité à l’alimentation peuvent également avoir un impact négatif sur le profil en acide gras, notamment la formation d’acides gras de novo. Un exemple est le « slug feeding » (ou gavage), les animaux n’ayant pas accès en tout moment à leur ration vont alors littéralement se gaver aux moment où ils le peuvent. Ceci conduit à de plus fortes variations a niveau du pH ruminal. Ces variations dérangent entre autres le bon fonctionnement de la flore microbienne ce qui se répercute au final sur la quantité d’acides gras générés par cette dernière.

Les valeurs de différents acides gras des échantillons de lait de tank seront bientôt disponibles dans un nouvel outil sur le logiciel d’alerte pour l’élevage Salve (https://salve.vet) développé par RumeXperts. Le logiciel permet déjà une analyse intelligente et automatisée de nombreux paramètres d’élevage. A l’avenir, consulter régulièrement l’évolution des acides gras et les alertes associées permettra un monitoring plus précis de la santé du troupeau, des rations, des pratiques de management et une anticipation plus rapide des actions correctives.