Vaccination des ruminants contre les maladies vectorielles : efficacité et prise vaccinale sous la loupe

Dr. Leonard Theron 31/03/2025

Face à la progression des maladies vectorielles comme la fièvre catarrhale ovine (FCO) ou la maladie hémorragique épizootique (MHE), la vaccination constitue aujourd’hui l’un des meilleurs outils de prévention en élevage de ruminants. Mais un bon vaccin ne suffit pas : son efficacité réelle sur le terrain dépend de nombreux paramètres biologiques, techniques et environnementaux.

Qu’entend-on par “prise vaccinale” ?

La prise vaccinale désigne la capacité d’un animal à développer une réponse immunitaire suffisante après administration d’un vaccin, notamment via la production d’anticorps neutralisants. Cette réponse est essentielle pour assurer une protection durable contre les virus transmis par les Culicoides (BTV, EHDV…).

Cependant, cette efficacité immunitaire peut varier fortement. Même avec des vaccins performants (efficacité théorique ≥ 90 %), des études montrent qu’en conditions réelles, la séroconversion peut chuter de 20 à 50 % si certains facteurs clés ne sont pas maîtrisés.

Les facteurs qui influencent la prise vaccinale

Facteur perturbateur Impact estimé sur l’efficacité vaccinale
Déficit énergétique autour du vêlage −30 à −50 %
Stress (transport, chaleur >30 °C, manipulation) −20 à −35 %
Présence d’anticorps maternels (jeunes < 3 mois) −40 à −60 %
Mauvais site ou angle d’injection −10 à −15 %
Carences en oligo-éléments (Zn, Se, Cu…) −20 à −25 %

1. Statut nutritionnel : le socle de la réponse immunitaire

Une alimentation déséquilibrée, notamment en période de transition (vêlage, sevrage), nuit fortement à la qualité de la réponse immunitaire. Des carences en énergie ou en minéraux réduisent la production d’anticorps jusqu’à 50 %.

Le statut nutritionnel est l’un des éléments altérant la prise vaccinale les plus documentés. Chez les ruminants, les carences énergétiques ou minérales autour de la vaccination peuvent altérer la réponse humorale. Sordillo et Raphael (2013) ont démontré que les vaches laitières en déficit énergétique négatif autour du vêlage présentaient une production d’anticorps réduite de plus de 40 %.

Chez les brebis, Özbek et al. (2021) ont montré que des taux élevés de corps cétoniques (BHB) et d’acides gras non estérifiés (NEFA) — marqueurs de stress métabolique — étaient associés à une baisse significative des anticorps naturels. Ces altérations ont un impact direct sur la capacité de l’animal à répondre efficacement à la vaccination.

2. Stress thermique ou de manipulation : un frein immunitaire

Le stress (transport, manipulation, regroupement) induit une libération de cortisol qui inhibe l’activité des lymphocytes. En période de canicule, la séroconversion peut chuter de 93 % à 77 %. Il est donc recommandé de vacciner lors de périodes tempérées (< 25 °C) et de limiter les interventions concomitantes.

3. Présence d’anticorps maternels chez les jeunes

Chez les ruminants de moins de 3 mois, les anticorps transmis par le colostrum peuvent neutraliser le vaccin, empêchant la réponse immunitaire active. D’où l’importance de respecter les âges minimums d’injection (souvent ≥ 3 mois) et de prévoir un rappel.

4. Technique d’injection : précision et rigueur

Le site et la profondeur d’injection jouent un rôle critique. La voie intramusculaire peut induire une réponse plus marquée, mais la voie sous-cutanée est plus tolérée. Une injection trop superficielle ou mal positionnée (ex. : dans la graisse sous-cutanée) peut réduire l’efficacité jusqu’à 15 %. La région cervicale (avant de l’épaule) est à privilégier.

Chez les ruminants, les zones les plus fréquemment utilisées sont :

  • Région cervicale latérale (avant de l’épaule) : zone la plus recommandée pour la voie SC, car peu musculaire mais bien vascularisée.
  • Quart postérieur du cou ou haut de la poitrine : utilisées en voie IM, car elles permettent une pénétration musculaire correcte sans risquer de toucher des nerfs moteurs importants.
  • Région de la cuisse ou fessière : à éviter chez les animaux de boucherie, car elle augmente les risques de lésions dans des zones à forte valeur marchande.

Des essais comparatifs (Savini et al., 2021) ont montré que la zone cervicale donne les meilleurs résultats pour certains vaccins, avec une réponse humorale plus rapide (J14 à J21) et une tolérance locale optimale.

Figure 1 – Anatomie du système lymphatique bovin (https://www.turbosquid.com/fr/3d-models/cow-body-skeleton-and-lymphatic-system-static-3d-model-1893844 )

5. Oligo-éléments : petits mais essentiels

Même en l’absence de signes cliniques, un déficit en oligo-éléments trace peut compromettre l’immunocompétence. Le sélénium, le zinc et le cuivre, en particulier, jouent un rôle clé dans la stimulation des cellules immunitaires. Leur apport doit être assuré par l’alimentation ou par injection avant vaccination. Des compléments nutritionnels injectables 5 à 7 jours avant ou pendant la vaccination peuvent améliorer significativement la prise vaccinale.

Conclusion : une efficacité vaccinale à construire

La vaccination contre la FCO ou la MHE est un levier de protection essentiel. Mais son efficacité réelle repose sur la synergie entre un vaccin adapté, un moment bien choisi et une administration maîtrisée. Anticiper les périodes à risque, corriger les déséquilibres nutritionnels, limiter le stress et former les intervenants sont autant de clés pour garantir une prise vaccinale optimale.

En somme, vacciner, ce n’est pas seulement injecter — c’est préparer, observer, adapter. Et c’est dans cette précision que réside la vraie protection du troupeau.

Aller plus loin ? 

  • Lorusso, A., et al. Bluetongue virus epidemiology and vaccine efficacy: lessons from Europe. Veterinary Microbiology, 165(1–2), 33–45. https://doi.org/10.1016/j.vetmic.2013.01.015
  • McVey, D. S., & MacLachlan, N. J. (2015). Vaccines for prevention of bluetongue and epizootic hemorrhagic disease in livestock: A North American perspective. Vector-Borne and Zoonotic Diseases, 15(6), 385–396. https://www.researchgate.net/publication/278790914
  • Sordillo, L. M., & Mavangira, V. (2014). The nexus between nutrient metabolism, oxidative stress and inflammation in transition cows. Animal Production Science, 54(9), 1204–1214. https://doi.org/10.1071/AN14503
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  • Van Knegsel, A. T. M., et al. (2007). Natural antibodies related to energy balance in early lactation dairy cows. Journal of Dairy Science, 90(12), 5490–5498. https://doi.org/10.3168/jds.2007-0109  Wilde, D. (2006). Influence of macro and trace elements on the immune system of livestock. Veterinary Record, 159(15), 451–453. https://doi.org/10.1136/vr.159.15.451Zientara, S., & Sánchez-Vizcaíno, J. M. (2013). Control of bluetongue in Europe. Veterinary Microbiology, 165(1–2), 33–37. https://doi.org/10.1016/j.vetmic.2013.01.010