La détection des maladies métaboliques grâce aux analyses du lait
L’acétonémie et l’acidose…des troubles métaboliques parfois difficiles à détecter et coûteux
Les vaches laitières, et en particulier les hautes productrices en début de lactation, peuvent être sujettes à des troubles métaboliques tels que l’acétonémie ou l’acidose. Les troubles du métabolisme peuvent avoir un impact négatif important sur les performances de production (chute de production, diminution du pic de lactation,…), de reproduction, son état de santé général (altération de l’immunité) ou sa longévité. L’impact économique peut donc être important surtout que les formes subcliniques sont difficiles à mettre en évidence.
La balance énergétique négative et l’acétonémie
Le décalage entre l’augmentation de production et l’ingestion conduit inévitablement à une balance énergétique négative (BEN) en début de la lactation (Figure 1). L’intensité et la longueur de la BEN dépend du décalage et donc du niveau de production et de l’ingestion (préparation vêlage-ration-génétique). Cette BEN est physiologique et entraine notamment une mobilisation des tissus graisseux afin de compenser ce manque. Ces graisses arrivent dans le foie et peuvent alors soit être brulées directement comme source d’énergie, être renvoyées dans le sang pour “nourrir” des tissus ou être coupées en morceaux et transformées en corps cétoniques qui est une autre source d’énergie plus rapide. Les graisses peuvent également être utilisées pour produire du glucose sanguin mais cette capacité est fortement limitée car coûteuse en énergie (ce que la vache n’a pas). Le foie est fortement sollicité durant cette période et peut causer fréquemment l’apparition d’acétonémie (ou cétose) ou encore de stéatose (accumulation anormale de lipides dans le foie). En effet, en cas de demande trop importante et d’accumulation de corps cétoniques dans le sang, ils deviennent toxiques (pour la vache et les embryons) ou lorsque le foie atteint sa capacité maximale d’excrétion des graisses et que cela continue à arriver, le foie s’engraisse (stéatose) et bloque.

Figure 1. La balance énergétique chez la vache laitière
Les symptômes cliniques peuvent être une baisse de production, d’appétit, un abattement, une atteinte neurologique et un amaigrissement important. La forme latente (subclinique) de la maladie est beaucoup plus fréquente et se distingue par l’absence de symptômes visibles de prime abord. Ce trouble augmente le risque qu’un animal développe d’autres maladies comme des mammites, métrites, déplacements de caillette ou troubles d’infertilité par exemple. De façon générale, l’animal diminuera ses performances zootechniques (production, efficience alimentaire, reproduction…). Des symptômes peuvent être une odeur de pomme ou de poire de l’haleine, un appétit sélectif (les vaches mangent des fourrages mais ne finissent pas leurs concentrés).
L’acétonémie est une accumulation de corps cétoniques ou de blocage hépatique mais un bovin a toujours des corps cétoniques dans le sang puisque le rumen produit des corps cétoniques naturels via la production d’acide butyrique (digestion des sucres). La présence de corps cétoniques est normale surtout en début de lactation (15% de production laitière) puisque cela veut dire que l’animal mange et que le foie tourne mais ne doit pas dépasser un seuil spécifique.
Il existe 3 types d’acétonémie selon la cause :
Type I : acétonémie par manque d’apport par rapport aux besoins (le foie tourne)
– Primaire : par apports alimentaires insuffisants par rapport à la production de lait. L’animal mange bien mais les besoins sont trop hauts par rapport aux apports.
– Secondaire : par ingestion insuffisante, par ex à cause d’une maladie ou d’un soucis de transition ou de qualité de la ration.
Type II : acétonémie « syndrome de la vache grasse »
Par excès d’embonpoint et/ou mobilisation accrue des graisses corporelles associée à une diminution de l’ingestion/appétit réduit après vêlage. Le foie bloque par excès de graisses.
Type III : acétonémie d’origine alimentaire
Par consommation excessive d’aliments cétogènes (sucres) ou riches en acide butyrique (betteraves, ensilages mal conservés ou d’herbe humide, …).
L’acidose ruminale
L’acidose est un trouble de l’équilibre acido-basique provoqué par une baisse trop importante ou trop longue dans le temps du pH ruminal (acidification du rumen). La dégradation des glucides fermentescibles par les bactéries du rumen produit des Acides Gras Volatils (AGV) et de l’acide lactique. Dans des conditions normales, les AGV sont absorbés par la paroi ruminale et utilisés comme source d’énergie notamment pour produire du lait. Après un repas, la production des AGV augmente, diminuant le pH, qui est ensuite remonté par l’action de rumination (équilibre AGV-fibres, fréquence et volume du repas). L’acidose s’installe lorsque la production d’AGV excède la capacité d’absorption des papilles ruminales et que la salivation de la vache devient insuffisante pour neutraliser l’acidité. Il existe aussi un type d’acidose du au stress thermique en période estivale : lors de grosses chaleurs et spécifiquement des températures élevées couplées à une humidité relative élevée, les vaches ne savent plus évacuer suffisamment de chaleur corporelle par la surface de leur peau. Elles commencent alors à haleter (respiration accrue). Ceci vient dérégler le ratio CO2/O2 dans le sang an faveur de l’oxygène. Le pH du sang diminue et le corps doit utiliser des substances tampons (carbonates notamment) qui sont normalement présentent dans la salive pour contrer ce phénomène. Celles-ci qui vont manquer pour neutraliser les AGV dans le rumen (le volume de salive et la quantité de carbonates diminuent pour le rumen).
Les symptômes cliniques de l’acidose aigue sont une baisse forte de l’ingestion, de la rumination et de la production, de la diarrhée ou des bouses non digérées, un abattement généralisé, etc. L’acidose aigue est une forme grave qui nécessite des soins vétérinaires d’urgence et qui résulte le plus souvent d’un accident comme un problème de distribution ou des animaux qui ont eu un accès anormal au silo de concentrés, ou d’une transition trop brutale dans la ration.
L’acidose latente (subclinique) est beaucoup plus courante mais les symptômes sont moins visibles et moins évidents. Une diminution de l’efficience de la ration et de la production (difficile à évaluer) est observée, l’animal n’est pas en pleine forme, il peut montrer des complications digestives (abcès hépatiques, ulcères), des problèmes aux pieds (fourbures), une irrégularité de l’ingestion avec des bouses de consistance variable, un rumen vide, etc. L’acidose subclinique est souvent due à une ration déséquilibrée avec un excès en énergie fermentescible ou trop pauvre en fibre, une transition trop brutale dans la ration, une rumination insuffisante (par ex due au stress ou manque de confort), un tri trop important dans la ration, etc. Sur le long terme, cela peut entrainer l’affaiblissement du système immunitaire de l’animal et la baisse de ses performances de production.
Des indicateurs mesurés dans le lait
Les risques d’acétonémie et l’acidose subclinique peuvent être détectés de manière précoce grâce aux analyses du lait de tank et individuelles réalisées dans le cadre du contrôle laitier, non seulement grâce paramètres de composition classiques comme taux de matière grasse et de protéines mais aussi grâce aux paramètres de composition fine du lait.
En Wallonie, le lait de tank ou individuel est analysé au comité du lait grâce à la spectrométrie en moyen infrarouge (MIR) qui permet d’étudier la composition chimique globale du lait. Cette méthode permet depuis de nombreuses années de prédire précisément les composés majeurs du lait tels que le taux de matière grasse, protéine, lactose ou urée du lait. Plus récemment, des équations de prédiction pour des composés plus spécifiques du lait ont également pu être développées, tels que le profil en acides gras du lait, la teneur en minéraux, les corps cétoniques, la lactoferrine, le méthane éructé, etc. L’analyse des paramètres prédits sur le lait de tank permet d’avoir une vue globale à l’échelle du troupeau alors que l’analyse des paramètres individuels permet de surveiller chaque animal plus précisément mais restent une bonne indication de dérive du troupeau car leur précision est moindre que l’analyse sanguine.
Un risque d’acétonémie peut être révélé par :
- un taux de matières grasse trop élevé (qui découle de la mobilisation excessive des graisses corporelles) avec un taux de protéine faible (différence TB-TP > 10g/l)
- un rapport matière grasse/protéine élevé (> 1.4)
- des taux élevés de corps cétoniques
- une modification du profil en acides gras du lait telle qu’une augmentation de la quantité d’acide oléique C18:1 (cet acide gras est positivement corrélé à la mobilisation graisseuse)
Un risque d’acidose peut être indiqué par :
- une diminution de la teneur en matière grasse hors de la normalité physiologique (comparaison avec les résultats précédents du contrôle laitier) et hors d’un soucis d’ingestion
- un rapport matière grasse/protéine trop faible (< 1.1)
- une modification du profil en acides gras du lait telle que la variation du taux d’acide palmitique C16:0 qui est influencé par la digestion de la fibre
Le taux d’urée dans le lait, interprété avec le taux de protéines, apporte aussi des indications en termes d’équilibre de la ration et de bilan énergétique. Par exemple, un faible taux d’urée peut indiquer que la ration contient trop peu de protéines ou un excès d’énergie par rapport à la protéine. Un taux élevé d’urée peut indiquer qu’il y a trop de protéines ou trop peu d’énergie dans la ration.
Des outils basés sur les analyses du lait
En Wallonie, Elevéo a développé l’outil Cétolait pour évaluer le risque d’acétonémie dans un troupeau laitier sur base des analyses du contrôle laitier des vaches à moins de 120 jours en lactation. Le Score Acétonémie combine 4 paramètres mesurés dans le lait: le rapport matière grasse/protéine, le taux d’acide oléique, et les concentrations en acétone et beta-hydroxybutyrate (corps cétoniques). Plus d’informations ici: http://www.awenet.be/awe/UserFiles/file/asbl/lait/Services/Folder-CETOLAIT-2021.pdf
Le logiciel d’alertes vétérinaire Salve (http://salve.vet/), développé par RumeXperts, permet également de surveiller le troupeau ou les vaches individuellement grâce aux résultats des analyses tank et contrôle laitier et aux alertes associées. A l’heure actuelle, le logiciel permet de détecter par exemple des modifications anormales des taux (matière grasse, protéine, urée) dans le lait, un rapport matière grasse/protéine hors norme, etc afin de détecter des anomalies de rationnement. Le logiciel, en continuelle évolution, se verra doté prochainement de nouvelles alertes notamment grâce à des prédictions basées sur l’intelligence artificielle.


